Réorganisation de l’appareil judiciaire : Que de nominations extravagantes !

Le CNRD à travers le Président de la Transition s’est engagé à faire de la justice une boussole pour tous. Au moment où l’on assiste à l’exhibition de nombreux dossiers, à des menaces sur les barons du régime précédent, par la CRIEF et le parquet de la Cour d’appel de Conakry, il faut dire que les nominations de ceux chargés de cette mission ne font pas rêver. Car le décret présidentiel N°0256 en date du 29 décembre 2021, tombé comme un couperet, a inversé l’échelle des valeurs et mis la justice guinéenne dans une position inconfortable.

L’inquiétude gagne de plus en plus les magistrats guinéens dans leur écrasante majorité. Et pour cause, les nombreux vices qui, depuis l’arrivée du CNRD, entachent les nominations, les affectations et autres promotions imméritées. En témoigne le décret présidentiel N°0256 en date du 29 décembre 2021. Décret qui a exposé beaucoup de magistrats, talentueux, dans une « insécurité juridique » ambiante.

Les véritables raisons du limogeage de la Garde des Sceaux

Quelques semaines après, les nuages, les équivoques et les quiproquos se sont dissipés autour du départ inattendu de la ministre de la justice, Garde des Sceaux. Contrairement à ce qui a été distillé par les troubadours du régime d’exception, ce décret constitue la raison fondamentale de son limogeage car le projet qu’elle avait soumis n’était pas celui signé par le Président et diffusé par les médias d’État. Bien au contraire !

Ayant constaté que sa proposition a été profondément altérée, au mépris de la Loi en vigueur, la ministre de la justice sortante a rouspété auprès de ses supérieurs hiérarchiques. Une attitude qui sera interprétée comme de l’insubordination. C’était plutôt courageux de sa part. L’histoire retiendra qu’elle a tenté de sauver la justice et la vérité, au prix de son fauteuil ministériel, et défendu jusqu’au bout son pouvoir de proposition.

Dans la version bis du décret qu’elle a dénoncée, des noms avaient été substitués au profit d’autres. Une partie du décret n’avait pas été paraphée par le Chef de l’État. Certaines feuilles du document semblaient remplacées, où des défunts avaient été postés par mégarde. Des doublons avaient également été insérés (cas de magistrats nommés à deux ou trois postes différents comme à Coyah, Fria et Dubreka). Des magistrats talentueux, réputés intègres et dont l’expertise peut être vendue à l’échelle internationale, sont renversés et jetés à l’intérieur du pays, dans des localités où ils ne trouvent même pas d’escabeaux pour s’asseoir et encore moins de bureaux. Une cinquantaine de magistrats ou de juridictions omis, etc. Bref la version falsifiée a été faite de toutes pièces, pour parer au plus pressé.

Face à cette situation, les magistrats préjudiciés doivent se mobiliser. Pourquoi ne pas constituer un collectif pour défendre le droit ? Aux dires des spécialistes, la nécessité de dénoncer l’iniquité que revêt ce décret falsifié se pose avec acuité. Même si sa rectification est déjà envisagée par le pouvoir, pour plus d’objectivité et de légitimation de l’appareil judiciaire tombé en panne fatale.

Dans le milieu judiciaire, bien d’observateurs soulignent la nécessité de griffonner une plainte contre X, à l’intention du président de la République, de son ministre de la justice et de la Chambre administrative de la Cour suprême. Car la falsification de document administratif, qui plus est un décret présidentiel, est une infraction à la loi pénale. C’est du faux et usage de faux qui mérite une sanction appropriée.

Il faut ouvrir une enquête pour démasquer les petits malins qui tirent les ficelles. De confidence, le chef de Cabinet du département et les membres du Conseil supérieur de la magistrature ont confié n’avoir pas été associés à ces nominations extravagantes. Alors qui ?

« Nous nous sommes prononcés sur la mise à la retraite de certains doyens de la Justice et sur la nomination des juges de la CRIEF. Pour le reste, nous n’avons pas été consultés », soutient un membre du CSM qui requiert l’anonymat.

« Étant réuni, un jour de fin décembre 2021, dans un bureau, de 12h à 22h, le Conseil n’a pas livré son avis de conformité en ce qui concerne les magistrats ventilés à l’intérieur du pays ou promus à des postes supérieurs à Conakry », renchérit-il.

Or, l’article 3 du Statut des magistrats stipule clairement que « les décrets de mutation, d’avancement et de promotion dans les fonctions judiciaires sont soumis à l’avis de conformité du Conseil supérieur de la magistrature », contrairement à ce qui a prévalu dans le décret N°0256, falsifié dit-on à la Présidence de la République par de tierces personnes qui se sont positionnées et/ou ont coopté leurs fréquentations.

Le cas notoire du procureur Charles Wright

Autre conséquence de la falsification dudit décret, il y a le positionnement de jeunes magistrats, inexpérimentés, de premier échelon, à des postes qui nécessitent une expérience professionnelle de dix ans au minimum, selon la Loi en vigueur. Or, le fameux procureur n’a pas dix ans de service, lui qui a débuté sa carrière en 2015 !

Faut-il souligner que la justice, comme dans l’armée, reste exigeante par rapport à l’ancienneté et l’expérience, étant le socle de la société ? Une mauvaise décision judiciaire peut provoquer des troubles graves. D’où l’obéissance des promotions dans la magistrature à l’expérience, à l’ancienneté et à l’intégrité.

Le cas du volubile Charles Wright est très tout simplement scandaleux. Lui qui a entamé sa carrière de magistrat en 2015 s’est fait catapulter à la Cour d’appel. De surcroit comme procureur général. Magistrat de premier échelon, exerçant ses talents comme intérimaire dans une juridiction minuscule comme le Tribunal de première instance de Dubréka, il bénéficie d’une promotion imméritée et illégale. Est-ce parce qu’il est ami d’un tel ?

En matière de droit comme au sein de la Grande muette, les grades sont déterminés : il faut successivement occuper les fonctions de substitut du procureur, de procureur de la République, d’avocat général et de substitut général avant d’être bombardé procureur général.

Charles Wright a enjambé toutes ces étapes et, de surcroit, étant magistrat du siège, il a été directement parachuté comme procureur général alors qu’il n’a guère été magistrat du parquet avant l’arrivée du CNRD. C’était un magistrat du siège, avec une expérience de … 6 ans tout au plus.

Maintenant, s’estimant plus fort que jamais, Monsieur le procureur participerait à la désignation à des postes de certains magistrats et aurait coopté tout son groupe de fidèles. Exposant la justice et la Transition aux critiques les plus acerbes.

En un mot comme en mille, le décret présidentiel estampillé 0256  en date du 29 décembre 2021 constitue la plus honteuse controverse de l’histoire récente de la justice guinéenne. Les farfelus s’en donnent à cœur-joie !

En somme, l’inquiétude est palpable chez les magistrats du pays, qui ne comprennent pas de quelle manière on peut faire de la justice une « boussole pour tous » si les magistrats chargés de mettre en pratique ce slogan sont entrés sur scène par effraction. Dans les affaires exhibées à la télé, au rythme soutenu des conférences de presse, faut-il y voir une campagne de propagande orchestrée par ceux qui, d’après la loi, n’en ont ni l’expérience, ni les moyens légaux, ni la formation nécessaire ?

Le Conseil Supérieur de la Magistrature n’est pas blanc comme neige

Même si le CSM se targue d’être purifié loyal par rapport au cas de falsification précédent, force est de reconnaître que certaines de ses pratiques ne sont pas cathos. Les acteurs qui constituent le Conseil supérieur de la magistrature font ce que bon leur semble. Plus facile pour eux de coller des fautes professionnels à ceux qu’ils ne portent pas bien dans leurs cœurs ou qui rechignent à s’occuper de leurs « dossiers » injonctifs. Pis, les magistrats lésés n’ont aucune voie de recours pour contester la défaveur. Or, la plupart de ces derniers sont plutôt dynamiques et talentueux, et font leur travail dans les règles de l’art, n’en déplaise au CSM qui a la main leste !

Aujourd’hui, pour une bonne marche de la justice, un contrepoids à cet organe qui s’apparente à un Tribunal suprême et des voies de recours ouvertes doivent être envisagés pour éviter les abus et empêcher une forme de dictature. Car l’ingérence des membres du CSM auprès des juridictions inférieures est autant incalculable que les grains de sable de la plage.

Outre le constat précédent, une bonne partie des acteurs de cette juridiction ont été récemment envoyés à la retraite par le CNRD. Il n’y reste que le menu fretin, quelques rescapés qui ont du mal à accorder leurs violons sur la marche à suivre. Encore faut-il préciser que leur mandat ait expiré depuis belle lurette. D’où l’impérieux devoir d’organiser une élection afin de renouveler cette juridiction, d’engager des réformes en profondeur et toiletter les textes qui la régissent pour débusquer les agissements incontrôlés de ses acteurs.

En tous les cas, c’est le moment de redorer le blason de cette machine de destruction d’avenir et de talents, qu’on utilise pour ternir l’image de certains à tort, autant dangereuse que méconnue et qui dorénavant nécessite un regard citoyen. Parce que là, cette instance agit dans le sens opposé des droits humains et de la Charte de la Transition qui fait de la justice une priorité et une « boussole pour tous ». Les magistrats qui comparaissent devant cette juridiction doivent bénéficier d’un double degré de juridiction et être protégés par la Loi, comme tous les justiciables, pour l’équilibre et le sacro-saint droit à la défense. En attendant c’est l’incurie et le laisser-aller qui y prédominent.

Autre talon d’Achille, la CRIEF

Dans l’angoisse qui gagne de plus en plus la justice guinéenne, il y a la nomination des magistrats de la Cour de répression des infractions économiques et financières -CRIEF-. La raison préoccupante, du reste très légitime, est l’absence dans la configuration de cette Cour de spécialistes rompus à la lutte contre la corruption et les infractions économiques. Cependant, l’État guinéen avait financé, dans les années antérieures, la formation de nombreux magistrats dans le domaine, aussi bien dans la sous-région qu’ailleurs dans le monde. La question qu’on se pose, pourquoi ceux-ci ne se retrouvent pas au sein de la CRIEF qui devrait mettre au profit leur formation ? En tous les cas, l’opinion publique et le peuple sont aux aguets. Le CNRD, qui se prépose d’engager des réformes institutionnelles de grande envergure, pour changer le destin de toute la Nation, devrait-il procéder à des nominations de la sorte ? Il faut attendre de voir pour le croire. Pour l’instant, les actes posés çà et là incite à la méfiance.

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Par Sambegou Diallo

Tél : 611-63-30-29

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