Éducation guinéenne : la catastrophe chronique ! (Par El Bechir Diallo)

83% d’échecs au CEE, 85% au BEPC en 2022 (et quels résultats attendus encore au bac ?), forcément ce n’est pas la faute des candidats ! Presque tous ont échoué. Les pauvres enfants !

Ce n’est pas votre faute. C’est dur à encaisser à votre âge, mais consolez-vous. Vos enseignants sont nuls, et ce n’est pas leur faute, à eux non plus, ils ont eu des enseignants nuls. C’est comme ça en Guinée depuis longtemps.

Raison pour laquelle aucun ministre ou cadre de la fonction publique n’a ses enfants en Guinée. Ils les envoient très tôt étudier à l’étranger – dans la sous-région ou au Nord. Ils savent que l’enseignement en Guinée a commencé à se dégrader avec le koko lala expérimental, sous la Révolution, avec l’enseignement de masse au lieu d’enseignement des masses (une bonne note en idéologie, production, langues nationales – mal illustrées –, valeur sociale… pouvait faire passer en classe supérieure). La Révolution n’a pas besoin de savants, pour paraphraser le magistrat qui envoya à la guillotine Lavoisier, le père de la chimie, en 1794.

Avant la « Révolution culturelle » de 1968 et l’introduction du koko lala, on se plaignait mais le niveau y était dans l’enseignement, a posteriori…

Sous le régime libéral de Conté, beaucoup d’écoles publiques furent certes construites pour accroître la scolarisation mais l’enseignant n’avait toujours pas un bon traitement salarial, donc l’enseignement devint un marché où tout se vendait, tout s’achetait, tout se monnayait, y compris les sujets, les passages et les notes (il y avait même les fameuses NST ou « notes sexuellement transmissibles », que certaines filles obtenaient on devine comment).

Les écoles privées foisonnèrent anarchiquement, sans aucun contrôle pédagogique. Toute personne ayant un peu d’argent pouvait, moyennant un bakchich payé au ministère, ouvrir une école dans un bâtiment inapproprié, lui donner son nom d’illustre inconnu et recruter comme enseignants, des retraités, des diplômés sans emploi et même des déscolarisés précoces, tous n’ayant aucune compétence reconnue dans leur matière. Presque aucun d’entre eux n’avait suivi le moindre cours de psychopédagogie.

À Gamal, Sonfonia, Julius Nyerere et ailleurs, les professeurs appelés improprement docteurs n’étaient en fait que des aspirants au doctorat sans agrégation. Ils n’ont jamais présenté une thèse originale. Ils se sont arrêtés à l’aspirantur. D’où leur vrai titre d’aspirant (titulaire d’un DEA). Ils ont été formés en URSS (un an de langue, un an de cours proprement dit) pour justement être aptes à faire des recherches doctorales. Ce n’était déjà pas mal. Ils étaient appelés à aller plus loin mais le gouvernement les ramèna immédiatement au pays pour enseigner dans les universités, pour parer au plus pressé. Le besoin était là. Leur niveau était plutôt bon, mais ils étaient loin d’être des docteurs. C’était une imposture. C’est le cas du « docteur » en génétique Daé qui a été un puissant ministre sous Alpha ou du « docteur » Bry qui enseignait la physique des systèmes à Gamal…

Sous le régime tribaliste de Alpha Condé, le népotisme s’ajouta aux tares susmentionnées. On faisait passer à tour de bras en classe supérieure les cousins et cousines, les neveux et nièces et les petits parents du village, partout où l’on était enseignant, chef d’établissement, doyen de faculté ou recteur d’université.

Presque toutes les bourses du 1er et du 3e cycles universitaires étaient accordées en catimini à une seule communauté. Il y avait même une crypto-cellule de promotion académique tribale à la Présidence. D’où le foisonnement de titres de docteur à caractère communautaire, de titulaires de « doctorat fous le camp! » que les universités occidentales étaient obligées de délivrer à la hâte, à la demande expresse des autorités guinéennes sous le prétexte de besoin pressant en ressources humaines « hautement » qualifiées.

Quid des autorités de tutelle ?

Une chose est sûre, on n’a jamais ou on a très peu compris en Guinée que la première matière première c’est la matière grise et non les gisements naturels. Le Japon l’a très tôt compris, il doit son développement à la seule valeur de son éducation nationale. Il n’est point pourvu en richesses naturelles.

Plus près de nous, le Sénégal l’a également compris et intégré.

Fait ayant aggravé la dégradation de l’enseignement guinéen, les tutelles successives n’ont jamais eu une politique cohérente en la matière.

Les autorités guinéennes doivent augmenter significativement le budget alloué à l’Éducation, jusqu’à 33% (c’était d’ailleurs un des OMD ou objectifs du Millénaire pour le développement fixés en 2000 par les chefs d’État ou de gouvernement au Sommet du Millénaire tenu au siège de l’Onu, à New-York, pour réduire l’extrême pauvreté à l’horizon 2015).

Il faut valoriser le métier d’enseignant par des salaires conséquents, procéder à la surformation des formateurs (une mise à niveau ponctuelle) et instaurer la formation continue, arrêter de délivrer un permis à un quidam désireux d’ouvrir une école privée sans s’assurer de la conformité des bâtiments aux normes et sans vérification préalable des capacités pédagogiques du corps enseignant par les inspecteurs des ministères concernés (enseignement pré-universitaire, enseignement technique et professionnel, enseignement supérieur).

Pour les examens nationaux, il faut allonger la date de parution des résultats de deux semaines après les dernières épreuves (comme actuellement en Guinée, pressé qu’est le ministère de sortir l’argent des Finances pour empocher la part surfacturée) à au moins six semaines (comme au Sénégal, et ailleurs) pour éviter que les différentes étapes (qui vont du ramassage et rangement par ordre de PV des copies dans la salle d’examen à la publication des résultats, en passant par le transport vers le centre de dépôt de l’ENAM à partir des préfectures et des centres d’examens de la capitale, l’attribution des anonymats, le découpage des en-têtes, le transport vers les centres de corrections, les corrections proprement dites – qui doivent normalement être faites par deux correcteurs indépendants dont la moyenne arithmétique des notes sera la note définitive du candidat dans la matière donnée, et s’il y a un trop grand écart entre les deux, le directeur du centre de corrections doit désigner un troisième correcteur indépendant et ensuite on fait la moyenne arithmétique avec la note la plus proche –, le report des anonymats, le monitoring, etc.) ne soient bâclées au détriment des pauvres candidats.

On doit se hâter lentement, d’autant qu’il n’y a pas de seconde session en Guinée.

Depuis qu’un pharmacien est devenu par aberration ministre de l’Enseignement pré-universitaire, en 2011, le mot d’ordre c’est : publier vite les résultats et faire sortir l’argent des Finances, car il y a toujours surfacturation, donc profits personnels à empocher sans tarder. L’avenir des candidats est sacrifié sur l’autel de la cupidité.

Sous Sékou Touré, on prenait tout le temps et il y avait même des listes additives parce qu’il exigeait que les copies des candidats ajournés soient corrigées à nouveau pour s’assurer qu’il n’y a pas parmi eux des méritants écartés par erreur…

À partir de 2011, un correcteur a 300 copies à corriger par jour, c’est-à-dire moins de 2 minutes pour en corriger une sans le moindre repos pendant 8 heures par jour. Donc il parcourt rapidement l’introduction et la conclusion de la copie et attribue une note au jugé, donc arbitraire. Il n’a pas le temps de lire le développement, où se trouve pourtant l’essentiel de la valeur du candidat pour la matière concernée. Ce sont les correcteurs eux-mêmes qui le disent. Au fil des jours, leurs yeux piquent, ils lisent en diagonale l’introduction et la conclusion, fatigués qu’ils sont. Par conséquent, la note reflète rarement la valeur de la copie. Il est extrêmement grave de jouer ainsi avec l’avenir des enfants ! Mais ce n’est pas la faute du correcteur…

Prenons une dissertation de français ou de philosophie. Un candidat stressé peut mal introduire et mal conclure sa dissertation, mais il peut l’avoir bien développée. Il n’aura pas la moyenne pour autant, parce que le correcteur n’a pas le temps matériel de lire son développement. Un autre peut bien introduire et bien conclure mais aller hors sujet dans le développement. Eh bien, il aura une note excellente, pour la même raison.

Par ailleurs, on fait trop d’erreurs dans le report des anonymats, l’étape la plus importante et la plus délicate, car c’est là que l’on reporte les notes anonymes au PV correspondant. À cause de la précipitation mise aux opérations, un bon candidat peut se retrouver finalement avec les mauvaises notes d’un mauvais candidat et vice-versa. Et ensuite, on s’étonne à l’école qu’un très bon élève ait échoué et qu’un très mauvais ait été admis. Allez vérifier auprès des candidats. Vous entendrez dire : « Tel était l’un des meilleurs d’entre nous mais il n’a pas eu de chance. » Chance ! Hum !

Vous entendrez aussi dire : « Tel était nul en classe, mais il a eu de la chance. Il a peut-être eu le bras long ou Dieu l’a aidé. » Hum !

Chaque année les directeurs d’établissement privé envahissent l’ENAM, où se trouve le secrétariat central des examens, pour rouspéter et demander comment leurs meilleurs élèves ont pu échouer. Ils sont vite dispersés par les agents de sécurité des lieux. Bien évidemment, les directeurs d’établissement public n’osent pas le faire, de peur de représailles…

Parfois au découpage d’en-tête à l’ENAM, on oublie de mettre le numéro d’anonymat sur la copie parce qu’on est trop pressés. Ainsi, dans les centres de corrections où les copies sont transportées, on met chaque année et dans chaque matière des centaines de copies de côté puisqu’elles ne peuvent plus être identifiées, donc on ne les corrige pas. Alors, le directeur du centre en est réduit à considérer purement et simplement que les candidats auxquels elles appartiennent ont été absents à l’épreuve. Ce qui veut dire zéro pour eux dans la matière, sans autre forme de procès. Et ce n’est pas la faute du directeur du centre…

Le traitement d’une grande masse de copies d’examen à l’échelle nationale est un ensemble d’opérations extrêmement subtiles et méticuleuses. La moindre précipitation, la moindre erreur, a des répercussions graves sur l’avenir scolaire ou académique des enfants. Ce sont parfois des répercussions en chaîne, notamment dans le reports d’anonymat : la note d’un PV va au PV suivant, ainsi de suite. Ceux qui ont de la chance y gagnent, les autres y perdent ! Tout ça parce que le ministre est pressé !

Ce facteur entre aussi en compte dans la réussite des uns et dans l’échec des autres.

Malheureusement, chaque année en Guinée ces opérations comportent toujours de nombreuses anomalies. Le fait est que l’obsession ce n’est pas la perfection mais le démon argent.

Par El Bechir Diallo

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