La Guinée renoue avec les vieux démons

En Guinée, les couteaux sont tirés entre la junte au pouvoir et les acteurs de la classe politique qui réclament plus de transparence dans la gestion de la transition. En effet, las d’attendre un chronogramme clair de la transition, et face à ce qui passe à ses yeux, pour des tentatives de restrictions des droits et des libertés sur fond d’instrumentalisation de la Justice contre des acteurs sociopolitiques, le Front national pour la défense de la Constitution (FNDC) a décidé de braver l’interdiction du gouvernement pour ses manifestations du 28 juillet 2022 et du 4 août à venir. Il sera rejoint dans ses récriminations par l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG) de Cellou Dalein Diallo et l’Union des forces républicaines (UFR) de Sidya Touré dont les présidents respectifs ont tous deux appelés leurs militants à la grande mobilisation. En tout cas, à la veille de la manifestation, le responsable à l’organisation du FNDC s’est voulu clair, dans sa réplique à la sortie médiatique du parquet général qui se voulait ferme sur l’interdiction des manifestations: « Elles sont maintenues, qu’il pleuve ou qu’il neige ». « On s’en fout d’un parquet général instrumentalisé, on s’en fout de la police, on s’en fout de la gendarmerie et on s’en fout d’un gouvernement corrompu. Nous allons sortir massivement pour exiger le retour rapide à l’ordre constitutionnel, de manière pacifique ». Le ton était donné.

La Guinée danse sur un volcan

Dès lors, on pouvait craindre des débordements en cas de répression, pour ce pays d’Afrique de l’Ouest dont  l’histoire politique se conjugue souvent avec manifestations violentes. C’est donc une capitale guinéenne sous forte tension, qui s’est réveillée  le 28 juillet dernier, sous haute surveillance policière. Signe de la détermination des deux camps à aller au bout de leurs engagements. Conséquence : des heurts ont éclaté dans plusieurs  quartiers de la capitale où la circulation a, par moments, été perturbée. Ainsi donc, la Guinée renoue avec les vieux démons ! Comment peut-il en être autrement quand tout, dans le comportement  des protagonistes, tend à réunir les ingrédients pour faire sauter la cocotte-minute ? Autant dire qu’avec ces tiraillements sociopolitiques, la Guinée danse sur un volcan. A quelques encablures du prochain sommet de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) qui avait donné jusqu’au 3 août prochain aux autorités intérimaires, pour revoir leur copie, c’est un mauvais signal que renvoie la junte au pouvoir qui semble montrer des velléités de ruser avec tout le monde. Autrement, comment comprendre que dix mois après son putsch contre Alpha Condé, elle ait autant de difficultés à montrer de la lisibilité dans son action et à établir un calendrier clair de retour à l’ordre constitutionnel dans les meilleurs délais?  Surtout qu’en la matière, le colonel Mamady Doumbouya est loin d’être confronté aux difficultés sécuritaires qui complexifient davantage la tâche de ses homologues malien et burkinabè engagés dans les mêmes processus de transition.

On peut se demander jusqu’où iront l’escalade et la défiance entre les différents protagonistes

Quoi qu’il en soit, il y a des raisons de croire que  dans le cas d’espèce, c’est la junte au pouvoir qui a poussé le FNDC à bout. Ce, en interdisant une manifestation qui se voulait pourtant pacifique, après avoir procédé à des interpellations musclées de militants au détour d’une conférence de presse tenue quelques semaines plus tôt, alors même que l’opposition regroupée autour du FNDC avait accepté de surseoir à des manifestations pour saisir la main tendue du Premier ministre qui appelait  à des concertations.  Toujours est-il qu’en se mettant ouvertement à dos la classe politique, la junte au pouvoir à Conakry qui est déjà dans le collimateur de la CEDEAO, file du mauvais coton. Et si, après avoir interrompu le processus démocratique, l’intention du Colonel Doumbouya est de se maintenir au palais Sekoutouréya après en avoir délogé par les armes, le professeur Alpha Condé, il peut, d’ores et déjà, se préparer à faire face à deux fronts : celui de la CEDEAO à l’extérieur et, à l’intérieur, celui d’un FNDC bien décidé à ne pas se laisser conter fleurette et dont on peut saluer au passage la résilience pour avoir su opposer une résistance farouche aux velléités monarchistes de l’ex-président Alpha Condé. Et qui affiche aujourd’hui encore une détermination à nulle autre pareille dans sa lutte pour le renforcement de la démocratie en Guinée.  En tout état de cause, après cette journée d’échauffourées qui ressemblait à un test grandeur nature pour les deux parties, on peut se demander jusqu’où iront l’escalade et la défiance entre les différents protagonistes. Et Dieu seul sait ce qui adviendra le 4 août prochain où les manifestants promettent de remettre le couvert.

 « Le Pays »

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