Quelle place pour Guinée sur l’échiquier ouest-africain? (Par Djigui Camara)
La Guinée, parmi les anciennes colonies de l’AOF, semblait être promise à un bel avenir lors de son accession à l’indépendance nationale le 2 octobre 1958. Elle disposait d’importantes ressources naturelles et de vastes potentialités.
Son sol et son sous-sol étaient riches en bauxite, fer, or, uranium, manganèse, etc., depuis des temps immémoriaux (Kankan Moussa). La Guinée bénéficiait également de vastes ressources agricoles, énergétiques et hydroliques grâce à ses nombreux cours d’eau alimentés par une abondante pluviométrie, ce qui lui valait le surnom de « château d’eau de l’Afrique occidentale ». De plus, la Guinée comptait de nombreux cadres de haut niveau formés dans les grandes écoles d’outre-mer et de France, certains jouissant d’une bonne réputation au sein de l’élite de la fédération d’Afrique noire.
En outre, la Guinée bénéficiait d’une large ouverture sur l’océan Atlantique avec plus de 300 km de côtes, d’un port en eau profonde à Conakry et de nombreux autres sites aménageables. Ces atouts se sont avérés très utiles pour l’exploitation et l’exportation de ses abondantes ressources minérales.
Au regard de ces avantages géoclimatiques, l’avenir de la Guinée parmi toutes les anciennes colonies de l’AOF semblait prometteur. Sur le plan politico-historique, la Guinée était auréolée par son vote historique lors du référendum de 1958, qui lui a permis d’accéder à sa pleine souveraineté le 2 octobre de la même année.
Cependant, cette indépendance a été mal acceptée par l’ancienne puissance coloniale et a été ouvertement boycottée et combattue tant par la France que par certains dirigeants d’autres anciennes colonies. Malgré ces hostilités, l’indépendance guinéenne a ouvert la voie de la souveraineté aux autres colonies françaises en Afrique ainsi qu’à tous les pays colonisés du monde.
Ce choix historique a lourdement marqué le destin de la Guinée et a compromis le fabuleux destin qui semblait être le sien, malgré les atouts dont elle disposait. La promesse des fleurs quant à un bel avenir n’a pas pu être tenue. Le développement tant espéré ne s’est pas réalisé. En dépit des progrès remarquables enregistrés au cours des premières décennies de son indépendance dans tous les secteurs, la Guinée a connu une période d’éclipse après la mort de son premier Président.
Un régime militaire a succédé au régime révolutionnaire qui était en place pendant des décennies. Les nombreux progrès réalisés ont été abandonnés. Cette éclipse, qui perdure encore aujourd’hui malgré quelques périodes d’éclaircies, a compromis le processus de développement socialiste qui avait été amorcé, laissant place à une orientation capitaliste.
Ce changement brutal a été suivi, quelques années plus tard, par d’autres ruptures de différentes intensités, anéantissant les progrès réalisés et plongeant la Guinée dans une spirale de dégradation continue. Les changements de régimes politiques brutaux, souvent résultant de coups d’État (quatre en six décennies), ont eu des conséquences économiques et sociales désastreuses et sont devenus une constante de l’histoire politique du pays.
Ces événements ont obscurci et compromis les véritables chances et perspectives de développement dont la Guinée était porteuse à l’aube de son accession à la pleine souveraineté. Le pays, autrefois considéré comme une perle d’Afrique, un scandale géologique et un château d’eau, s’est retrouvé relégué loin derrière les autres pays de l’ancienne AOF.
Les difficultés actuelles de la Guinée, sur les plans politique, socio-économique et historique, sont évidentes. La stabilité politique a été gravement perturbée par l’émergence de clivages ethniques. La gouvernance politique et administrative a été compromise. La promotion de la démocratie a été affectée par l’instabilité et l’effritement de la paix sociale et de la solidarité nationale. De plus, l’absence de continuité dans la mise en œuvre des politiques et stratégies de développement socio-économique, due aux changements de régime, a conduit à une détérioration continue et à une mauvaise gouvernance.
Bien qu’étant partiellement imputable à la puissance coloniale, il est indéniable que la responsabilité de cette dégradation et de ce recul continu incombe en premier lieu aux dirigeants politiques guinéens qui se sont succédé à la tête du pays. Les mauvaises orientations politiques et économiques ont eu des conséquences catastrophiques, menant la Guinée au bord de la faillite.
Pour comprendre pleinement les causes du retard de la Guinée et cette situation politique, sociale et économique décevante, il est nécessaire de situer le contexte géo-historique et de rappeler ce qu’était l’AOF (Afrique-Occidentale française). L’AOF était un gouvernement central qui administrait les possessions françaises en Afrique de l’Ouest, regroupant huit pays, dont la Guinée.

Ces pays ont adopté des options politiques différentes et ont connu des évolutions économiques et sociales diverses. Leurs efforts pour promouvoir la stabilité politique, la démocratie et améliorer le niveau de vie de leur population respective n’ont pas été uniformes et ont produit des résultats différents.
Au regard de ces évolutions différenciées, la question qu’il faut élucider à ce stade est de savoir où se situe aujourd’hui la Guinée sur l’échiquier ouest-africain (ancienne AOF).
Je ne me hasarderai pas à donner une réponse hâtive à cette question.
Le souci qui m’anime en formulant cette interrogation est d’interpeller les autorités actuelles, les acteurs politiques, économiques et sociaux de la Guinée, à un exercice d’analyse, d’évaluation et de réflexion approfondie sur le chemin parcouru. Cela a pour but de susciter un sursaut national et un engagement en faveur de l’action refondatrice ou de son approfondissement.
Il s’agit des préalables à une véritable action de refondation nécessaire si l’on veut changer fondamentalement et durablement la situation socio-économique de la Guinée. Cela passe par la mise en place d’institutions fortes d’une part, et d’autre part, la conception de programmes, de politiques et de stratégies de développement harmonieux susceptibles de contribuer à la réalisation du destin manqué auquel ce pays était promis, à savoir un développement socio-économique endogène au bénéfice des populations guinéennes.
Ce faisant, j’espère que cet exercice d’introspection débouchera sur un nouveau départ qui mettra définitivement la Guinée à l’abri des ruptures inopinées et des changements chaotiques non consensuels, qui, tels des typhons, balayent et détruisent régulièrement les acquis réalisés et remettent en cause les fondements de la stabilité politique et de la démocratie indispensables à la promotion d’un développement économique et social durable.
Ainsi, la Guinée pourrait, à l’instar des autres pays, retrouver toute sa place au sein de l’ancienne AOF, en harmonie avec ses potentialités, mais aussi au sein d’ensembles et d’espaces géoéconomiques plus vastes, que ce soit la CEDEAO ou même l’ensemble du continent, dont elle fut, durant les premières décennies de son indépendance, la boussole.
Par Djigui Camara, ancien ministre de la Coopération internationale